NDA: Une variation libre autour d'un texte de Nick Cave ("As I Sat Sadly By Her Side"). Ce n'est, bien évidemment, pas une simple traduction littérale 😉.
Texte rédigé spécialement pour répondre au défi dit "du chaudron" du site https://www.alleedesconteurs.fr/ et publié sur le site https://www.leconteur.fr/
Assis à ses côtés
Elle et moi, assis. Dans un moment de calme, de quiétude et
d'ennui que de sincères amis, voire peut-être un peu plus, il me faut
l'espérer, se plaisent à partager.
Mais la tristesse est là. Elle est inévitable, tant les
affres du monde nous sont insupportables. A travers la fenêtre, nos visages
pressés sur la vitre glacée, nous regardons tous deux l'univers s'effondrer. Le
chat sur ses genoux ne ronronne même plus malgré toutes les caresses qui lui
sont prodiguées.
« Nous tombons doucement depuis le commencement jusqu'à
l'éternité. Nous ne sommes que cela: des objets en mouvement dirigés vers le
bas. Ce grain de poussière, là. Cette constellation qui brûle de mille éclats.
La buée qui se forme sur le carreau bleuté. Toi, moi et tous les autres, nos
parents et nos sœurs, la pute d'à côté, les cons à la télé, les gendarmes, les
voleurs. Une seule gravité pour tous nous attirer. La sphère du cosmos complètement
renversée pour tous nous réunir, nous lier, nous attacher, nous contraindre,
nous soumettre dans une chute funeste vers le fond, vers l'incréé. Dans notre
vanité, la tienne comme la mienne, nous y voyons du beau, du glorieux, du
flamboyant. Nous ne sommes que des idiots, des personnages immondes. Des êtres
insignifiants. »
Sa sentence est terrible, son jugement implacable. Mais son
sourire est là. Et son regard est frais, innocent et intact. Tout comme sa
douce voix. Et je l'aime pour ça. Et je veux lui répondre. Lui offrir à mon
tour mon point de vue sur la vie, même si tout est maudit.
Mes lèvres sont fermées, elle sent mon désarroi. C'est d'une
subtile caresse juste orientée vers moi qu'elle fait bondir le chat de ses
cuisses aux miennes, m'accordant par ce geste le droit de m'exprimer.
Je regarde ses cheveux ruisseler sur son visage, s'échapper
de ses joues, échouer sur ses épaules en enveloppant son cou. Et je dis
simplement en pressant ma pommette sur le verre trempé, la tête sur le côté:
« Peut-être. Mais si je tombe dans la rue, me brise les
chevilles et par des gestes amples, copieux et abondants j'alerte les passants,
je leur demande de l'aide, les supplie de venir et de me secourir, es-tu si
convaincue qu'ils iront tous vers moi dans un même mouvement, risquant eux-mêmes
la chute, l'échec, l'effondrement? Au mieux ils m'ignoreront au nom de la
sélection. Mais plus probablement ils me piétineront. Par jeu, par pur plaisir
ou bien par négligence, ce qui est encore pire. Par amour du profit, aussi,
même si assurément il n'y a rien à gagner à broyer son suivant. Ou bien son
précédent. Mais la nécessité, le besoin immédiat de tout surexploité, y compris
le vivant, brise les relations et tranche chaque fil de toutes nos connections. »
D'un geste un peu tremblant, riche de témérité, de désir et
d'espoir, je caresse ses cheveux d’un blond presque argenté. Je libère son
regard de ce voile embrasé.
Le chat revient à elle. Ou bien il me fuit moi. C'est
probablement ça.
Elle se redresse alors et d'un geste superbe elle tire les
rideaux, elle assombrit la pièce, brise mes perspectives, occulte mon horizon,
puis, d'une voix affligée, me déclare sèchement:
« Penses-tu réellement que ce qui est dehors nécessite
ton jugement? Mais quand comprendras-tu que rien n'est fait pour toi, pour ton
esprit étroit? Signifiant, signifié, dimension et essence sont des concepts
creux, tous comparés à Dieu. Et puis ta bienveillance? Ce n'est qu'un parasite,
un agent infectieux qui envahit ton cœur. Et Dieu n'en a que faire. Il ne t’a
pas créé pour être le creuset de la douceur humaine et ouvrir tes bras à tous
ceux ici-bas privés de réconfort, d'amour et de tendresse. Dieu se moque de
tout, ne s'intéresse à rien. Il poursuit son dessein en restant vent debout,
alors que la détresse, la laideur et la peine explosent autour de nous. »
Elle pleure.
Et ce sourire obscène qui déchire mon visage.
Alors que je suis assis, triste, à ses côtés.
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