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vendredi 26 juillet 2024

Hydra

NDA:  Je n'ai pas de soucis avec les élites, les sachants, les sages etc...car à bien y regarder, ils sont dans le même potage que nous. Ils ne l'admettent pas, c'est tout. Et certains tellement peu qu'ils deviennent exécrables, vindicatifs, brutaux, méprisant et stupides. Et autoritaires, surtout. Et moralistes, enfin. C'est probablement de ceux-ci dont je parle dans le texte.


Hydra


Sept cous sept têtes sur un corps amphibien,

Me rebattent les oreilles sans aucune permission,

Pour me dire le vrai, le beau et le divin,

Assener vérité, morale et solutions,

A mon esprit lourdaud refusant soumission.

 

La première, verbeuse, annonce sans préambule :

Il faut savoir écrire, compter, faire des calculs,

Pour mériter sa place, faire valoir sa valeur,

Obtenir sa licence, sa maîtrise, son bidule,

Afficher sur son mur la preuve de sa grandeur.

 

Cette tête je la coupe, la laisse tomber à terre, la botte agressivement.

 

Et la seconde réplique, sans moindre hésitation :

Tu dois calmer tes nerfs, refreiner tes ardeurs,

Te sociopathiser, éviter tout émoi,

Ne pas aimer, haïr, désirer, repousser,

Si ce n'est pour l'argent, le pouvoir ou la gloire,

Créer une illusion pour dérober ta part.

 

Détachée de sa branche comme une figue bien mûre, piétinée sans relâche, 

Je pense même un instant à lui pisser dessus.

 

Quand une autre déclare, prenant la balle au bond :

A propos du pouvoir, c'est ta priorité.

La main sur toute chose, sur tout être, tout objet,

En tout temps en tout lieu tu te dois d'exercer,

Une emprise nécessaire au salut du plus faible, que tu dois posséder.

 

Puis la suivante affirme, dans la continuité :

Le plus faible parlons-en. Il ne mérite qu'à peine ton regard de pitié.

Il est ta solution aux problèmes du monde. Tu dois le diriger vers ces seuls desseins :

Dormir boire et manger, travailler et offrir, au plus fort que lui, toute la vie en son sein.

 

Prenant de l'amplitude, d'un seul coup bien tranchant, ce sont deux têtes coupées qui s'envolent au levant.

 

Puis vient celle qui rassure, inquiète de mon humeur :

Sois sans crainte mon ami, tu dois être de ceux qui rejettent leur place.

Ecrivains, scientifiques, prêtres et philosophes,

Imbus de l'orthographe, des mots et des formules,

Par lesquels ils s'amusent à critiquer le monde,

En feignant s'opposer à son ordre établi.

 

Ces quelques mots clamés si près de mon visage, rendent le coup fatal, simple à exécuter.

 

La sixième de poursuive, débordant de cynisme :

L'ordre établi c'est eux, des pompiers pyromanes

Qui alimentent un feu pour réchauffer leurs corps,

Dictateurs archaïques d'académies lettrées,

Qui pensent au circonflexe, au f après la clé,

Au genre des mots nouveaux, à l'écrit inclusif,

Qu'ils veulent interdire au nom de la clarté,

Alors qu’ils se complaisent à vivre d'obscurité.

 

Laissant sortir ma rage, je lance mon épée, fendant la tête en deux,

Hémisphères rougeoyants d'où sortent d'immenses flammes, froides à geler les cieux.

 

Et l'ultime qui se tait. Et qui se tait encore.

Puis avance sa tête, en modulant ses lèvres et vient pour m'embrasser.

Un baiser qui veut dire : "vas, tu ne peux pas gagner".

Et de là les six autres se mirent à repousser.

Et moi persévérant, je me mis à hurler.

 

Le monde mental ment, monumentalement.

Boris Vian.



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